Qu’est-ce qu’une contrepèterie recevable ? C’est le débat d’expert qui anime les amateurs de contrepet. Rassurez-vous ! Pas de clash Kaaris – Booba ici, les échanges sont vifs mais les ripostes courtoises !

L’idée de ce post me vient d’un échange sur le web. Alors qu’une contrepèterie (qui me semble tout à fait correcte) est proposée, la réception est … mitigée ! Petit florilège :

– « Une contrepèterie obéit à des règles strictes. »

– « Une contrepèterie est forcément vulgaire. »

Et même :

– « Cela va dénaturer la notion même de contrepèterie, si on permet tout et n’importe quoi. »

Rien de moins !

Les sources de désaccord sont assez récurrentes, notamment :

  • Déplacement VS inversion de son
  • Déplacement de lettres VS de son
  • Contrepèterie vulgaire VS pas forcément
  • Déplacement d’un phonème autorisé ou pas

Sortez le pop-corn, car ce débat n’est pas neuf ! À ce sujet, Perceau évoquait déjà un « nouveau conflit des anciens et des modernes » en 1934 !

Tentons de trouver une définition !

Avertissement ! Je ne prétends aucunement détenir LA vérité sur le sujet. Je préfère m’appuyer sur les références du domaine, puisque la question est déjà traitée dans la littérature.

Alors, que disent nos champions de la contrepèterie ?

Que dit Perceau ?

Louis Perceau signe en 1934 le premier livre consacré exclusivement à la contrepèterie : La Redoute des contrepèteries, aux éditions Briffaut. Il s’appuie sur les écrits d’Étienne Tabourot (16ᵉ siècle) pour proposer la définition suivante :

Une contrepéterie classique est une contrepéterie qui porte exclusivement sur la mutation de consonnes placées, soit au début, soit à l’intérieur des mots.

La Redoute des contrepèteries, 1934, Louis Perceau

Notez qu’il s’agit d’une définition « classique », à quoi il ajoute d’autres catégories pour proposer une définition plus étendue :

  • Les contrepèteries décadentes (portent sur des voyelles, des diphtongues, des syllabes, des fractions de mots ou des mots entiers)
  • Les contrepèteries mixtes, qui sont hybrides
  • Les contrepèteries dites défectueuses ou irrégulières, qui ne respectent pas les critères précédents, mais qui sont acceptées malgré tout car elles restent esthétiques selon un critère assez subjectif

On a donc une définition très large de la contrepèterie, qui certes, définit un canon, mais ne s’embarrasse pas de règles strictes, pour mieux coller à la pratique existante.

Que dit Luc Etienne ?

Luc Étienne tient de 1957 à 1984 la rubrique de contrepèteries hebdomadaire du Canard enchaîné. Il publie son traité de contrepèterie en 1957 : l’Art du Contrepet, Petit traité à l’usage des amateurs pour résoudre les contrepèteries proposées et en inventer de nouvelles.

Il y formule les règles suivantes :

Une contrepèterie est une phrase d’apparence anodine qu’un lapsus convenablement choisi peut rendre agréablement déplacée. […]

En Contrepet c’est le son qui compte et non l’orthographe.

L’Art du contrepet, 1957, Luc Étienne

On a donc ici une définition parfaitement alignée avec son prédécesseur. De plus, il qualifie de raisonnable la distinction classique versus décadente.

C’est assez clair, avançons à la période actuelle.

Que dit Joël Martin ?

Joël Martin est le maître contemporain de ce noble art. Il succède à Luc Étienne au Canard Enchainé.

Vous connaissez déjà par cœur la définition populaire dont il est à l’origine : « Le contrepet, c’est l’art de décaler les sons ». Un bijou !

Il livre une définition plus complète :

À partir d’une phrase, on en bâtit une autre, en permutant consonnes, voyelles, syllabes, etc. Le résultat de cette contrepèterie est une autre phrase, proche par ses sonorités mais de sens fort déplacé par rapport à la phrase première.

La Contrepèterie, 2005, Joël Martin

On retrouve les notions connues, mais aussi une définition ouverte par un et cetera.

Il ajoute la nécessité d’un sens grivois, cependant celui-ci ne peut s’appliquer qu’à la définition classique. En effet, Joël Martin, a publié un ouvrage de contrepèteries destinées aux enfants : La Vie des mots, l’ami des veaux (Joël Martin, Rémy Le Goistre, éd. Albin Michel)

En définitive, la grivoiserie est bien vue, voire encouragée, mais pas indispensable.

Ce que disent les copains, au bistrot

Les amateurs de contrepèterie ont parfois une définition qui diverge de la vision des maîtres. Les pratiques sont très diverses, et c’est bien normal, puisqu’il s’agit d’un jeu d’esprit traditionnel non codifié.

Pour filer la métaphore du bistrot, il semble qu’il y a autant de pratiques de la contrepèterie que de règles de billard ou de baby-foot dans les cafés. On s’accorde sur l’essentiel, mais il existe quelques cas particuliers où chacun à son interprétation.

Comme pour les jeux de cafés, c’est la convivialité qui l’emporte. C’est pourquoi chacun doit être libre de proposer sa vision, dépendant de sa culture, sa créativité, ses envies.

Le jour où la contrepèterie sera pratiquée en compétition, nous établirons des règles. Et quand bien même les règles seront écrites, elles ne seront pas figées, car tous les sports vivants connaissent des évolutions régulières.

D’ici là, sachons apprécier la contrepèterie pour ce qu’elle est : un plaisir !

Mot de la fin

En définitive, s’il existe une contrepèterie classique, il est vrai que toute exception semble acceptable dans la mesure où l’exercice s’en rapproche, et si un certain esthétisme excuse l’écart à la règle. Ce peut être un supplément d’esprit, une obscénité exacerbée, au contraire une certaine poésie, une spontanéité, une approche créative, et cetera.

Sachons apprécier les petits bijoux d’orfèvrerie, autant que les contrepèteries imparfaites réalisées avec amour !

PM